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 Umschulung, réfractaires et déserteurs alsaciens 1940 -1945
 


Une famille transplantée dans le Reich

 

 La famille Mader transplantée d'Altkirch à Riedlingen 1943/1945


Les archives départementales du Haut-Rhin conservent des fiches de gestion et de rémunération des enseignants alsaciens de 1940 à 1944, établies par l'administration allemande, pendant la période d'annexion de l'Alsace par le Troisième Reich. Portant en objet la mention « transplantation d'enseignants alsaciens », un document indique qu'Alphonse MADER, né le 24 mai 1882, a été détaché autoritairement et par ordre de service dans l'enseignement wurtembergeois avec effet rétroactif au 1er juin 1943. Alphonse MADER était, jusqu'en 1940, le directeur de l'école primaire d'Altkirch (Haut-Rhin). Selon cet écrit, l'administration scolaire allemande a continué à lui verser son traitement.
Alphonse Mader a été transplanté avec sa famille en 1943 en Allemagne, parce que l'un de ses fils s'était réfugié dans la zone sud - que l'armée allemande n'occupait pas encore– pour échapper au service obligatoire du travail (RAD) et à l'incorporation de force (24 août 1942) et que l'autre n'était pas revenu en Alsace. L'aîné des deux garçons s'appelait Alphonse, comme son père : il avait rejoint la Haute-Savoie en passant par la Suisse, en 1941 ou en 1942. Le cadet, Charles-Louis, était en Afrique du Nord au moment de l'Armistice du 22 juin 1940 et a rejoint ensuite directement la Grande Bretagne. La famille MADER a été expulsée d'Alsace et de sa maison que le chef local de la Gestapo a réquisitionnée à son profit personnel !
Trois autres enfants ont accompagné leurs parents dans l'exil : Marie Louise (née en 1919), Jérôme (1925) et Claudine (1938). Marie-Louise avait été réorientée à l'issue de ses études secondaires dans le Sonderlehrgang, un cursus transitoire de formation à l'enseignement et a effectué la phase finale de ce cursus à la Lehrerbildungsanstalt (LBA) de Karlsruhe, au cours des années 1941/42 ou 1942/43. Elle avait été affectée, à l'issue de cette formation, à l'école d'Allmendingen, dans le Kreis Alb-Donau (actuel Land Baden-Württemberg). Claudine était la plus jeune des trois, l'administration allemande avait obligé ses parents à modifier le prénom français par un prénom allemand. Au moment de l'expulsion d'Alsace, Jérôme, dont le prénom a été germanisé puis remplacé par celui de Peter sur la carte du fichier scolaire, fréquentait la 7e année secondaire au Collège d'Altkirch, rebaptisé depuis 1940 la Sundgauschule. La scolarité dans l'Oberschule (lycée) était étalée sur huit années et s'achevait par un diplôme de maturité (Reifeprüfung).
Après sa transplantation dans le Reich (Absiedlung), la famille avait d'abord été placée au camp de Schleklingen, dans les conditions difficiles d'internement que Marie-Louise Roth-Zimmermann a décrites une quarantaine d'années plus tard (Je me souviens de Schelklingen ). Elle obtint ensuite l'autorisation de se fixer dans la petite ville de Riedlingen et d'y occuper un logement personnel. À l'Oberschule de la ville, Jérôme put se présenter au diplôme de fin d'études secondaires, l'Abitur, mais fut ensuite mobilisé dans la Wehrmacht dans les mêmes conditions que les autres Alsaciens. « La famille était logée chez un enseignant, au numéro 8 de la rue du Fossé (Grabenstraße 8) » – dont le nom ne nous est pas parvenu. « Les dames âgées, que j'ai questionnées, se souvenaient très bien de lui, car c'était un garçon agréable et de belle apparence. »(Témoignage de Stéphanie Hafner, Stadtarchiv Riedlingen, le 28 novembre 2016).
Comme la distance entre Allmendingen où elle enseignait et Riedlingen n'était que de 30 kilomètres, Marie-Louise, la fille aînée, pouvait fort bien retrouver ses parents, son frère et sa sœur en fin de semaine, mais nous n'en avons aucune certitude.
Jérôme Mader et sa sœur Marie – Louise ne sont plus de ce monde. Ils ont laissé derrière eux Madame Mader, l'épouse de Jérôme ainsi que Claudine, la plus jeune des sœurs. Comme Madame Mader, elle-même âgée de plus de 90 ans, n'a épousé son mari que dix ans après la fin de la guerre, les témoignages directs nous manquent. Ce récit repose principalement sur les documents d'archives. Selon Christian Archambault, mari de Claudine, celle-ci a été en possession d'un récit écrit de l'histoire de sa famille laissé par Marie-Louise, mais ce document est inaccessible.

13 février 2017

 

Carte du fichier scolaire du collège d’Altkirch. Archives départementales du Haut-Rhin.

Marie-Louise Roth Zimmermann : Je me souviens de Schelklingen. Une jeune Alsacienne dans un camp de rééducation nazi. Strasbourg La Nuée bleue, 1999, 176 pages.

 


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